Les Nouvelles Publications : Comment devient-on guide de haute montagne quand on est belge ?
Michel Frisque : A 18 ans, j’ai commencé à faire de l’escalade en Belgique, sur des falaises. La passion est venue. Une vocation en quelque sorte. Et je suis parti à Chamonix (Haute-Savoie), à l’Ecole nationale de ski et d’escalade pour passer mon diplôme de guide. Mais ils m’ont dit que j’étais trop jeune et sans liste de courses en montagne. Je suis revenu trois ans plus tard… Entre-temps, j’avais arpenté les falaises et les sommets. Et je suis devenu aspirant guide à 23 ans.
Quel chemin avez-vous suivi pour vous rendre des sommets des Alpes à l’Institut d’administration des entreprises (IAE) d’Aix-Marseille ?
Comme souvent dans la vie, je l’ai trouvé par hasard en faisant une rencontre. Une de mes premières clientes en tant que guide était enseignante à l’IAE. C’est elle qui m’a proposé de venir, en me parlant de leadership et en m’expliquant qu’elle trouvait des passerelles intéressantes entre ce que je faisais en montagne et le travail d’un chef d’entreprise.
Je suis arrivé à l’IAE il y a une trentaine d’années, d’abord pour y donner quelques séminaires. J’y suis toujours, comme maître de conférences.
Qu’enseignez-vous aux étudiants ?
J’ai commencé par organiser des sessions de team building lors des rentrées. L’idée était de développer la cohésion au sein des promotions. Aujourd’hui, j’interviens en MBA [Master of Business Administration, NDLR] et master 2 sur le leadership du XXIe siècle. Mes cours sont organisés un peu comme des voyages intérieurs pendant lesquels j’emmène les étudiants pour qu’ils apprennent à se concentrer sur leurs émotions et leur désir de vie.
Quelle est leur raison d’être ? Ils ne peuvent pas se conformer à une image traditionnelle du leader. Ce serait une erreur. Ils doivent devenir eux-mêmes, en cohérence avec leur identité, leurs forces et énergies. Ce n’est qu’une fois alignés qu’ils pourront devenir de bons chefs d’entreprise.
Le rayonnement d’un bon leader vient de l’intérieur. Etre aligné avec soi-même, c’est se donner plus de chance de réussir et plus de chances d’emmener les autres. Pour y arriver, il faut augmenter son niveau de conscience afin d’être mieux connecté avec ses émotions.

Vous parlez d’intelligence émotionnelle. Comment la définissez-vous ?
C’est l’aptitude à écouter son intérieur et la vie de ses émotions. Elles prennent parfois le contrôle de nous, à notre insu… Le risque est alors d’être en réaction, plutôt que d’avoir un acte conscient, et donc de développer une réaction dysfonctionnelle et inappropriée.
Il est important d’écouter ses propres émotions et de prendre conscience des autres, de ceux avec lesquels ont fait cordée ou équipe, afin de mieux agir ensemble. Les émotions nous enseignent sur nos besoins. Et des besoins insatisfaits sont dangereux… Il faut être capable de porter attention à ces dernières, d’y apporter des réponses appropriées. Surtout quand on a une place de leader. Maîtriser ses émotions crée un espace de liberté.
Un bon chef d’entreprise doit-il être « intelligent émotionnellement » ?
Il doit être capable de comprendre et de maîtriser ses émotions et celles des autres. Il doit pouvoir faire preuve d’empathie. Il doit se mettre en situation de voir le monde tel que l’autre le voit, pour le comprendre et mieux travailler avec lui. C’est la fin des organisations pyramidales, où les ordres viennent d’en haut, sans être ci compris ni partagés.
Pourquoi les émotions sont-elles importantes quand on a un rôle de « guide » ?
C’est une leçon que m’a apprise Patrick Edlinger, le célèbre grimpeur qui a fait connaître l’escalade au grand public. Pour être un bon grimpeur, il faut savoir lâcher prise, c’est-à-dire se nourrir ses besoins, mais aussi s’en détacher et se débarrasser de ses peurs et émotions. Faire « entre prise » ou « entreprise », c’est ça !
Le lâcher prise est essentiel pour être agile et avancer. Cette notion est importante au sein d’une entreprise, surtout dans notre époque de profonds bouleversements et d’instabilités. Pour être agile, il faut être libre.
La Covid-19, les nouvelles attentes des jeunes générations, le numérique, ou encore la transition énergétique bouleversent nos modèles. A quoi ressemblera l’entreprise de demain ?
C’est celle qui va aider ses clients et non pas les aliéner. C’est l’entreprise qui sera capable de permettre à ses salariés d’exprimer leur plein potentiel, en suscitant chez eux l’envie d’apprendre, de s’éprouver, de partager, d’évoluer, de s’engager…
Dans ces conditions, l’entreprise peut viser la performance, qui est la façon d’atteindre son sommet. Et d’en redescendre.

Quelles doivent être les qualités d’un chef d’entreprise ?
Un bon guide ou un bon chef d’entreprise doit faire preuve d’agilité et d’empathie. Il doit être capable de passer du rôle de premier de cordée à second de cordée. Il est celui qui peut accompagner sa cordée, son équipe, la réconforter quand il faut, susciter la confiance pour lui montrer la voie, en l’aidant à sortir de sa zone de confort. De cette démarche naît le mouvement pour innover.
Comme le guide, le chef d’entreprise est celui qui, par ses qualités humaines, met en place les conditions de l’aventure et va accompagner ses équipes dans cette aventure. Et pas de la mésaventure… L’aventure étant le récit qui va provoquer l’identification. Le moteur premier est de provoquer le désir et la mise en mouvement.
Autre chose : le guide et le chef d’entreprise doivent aussi être capables de s’autoriser des erreurs. Cela fait partie de l’apprentissage.
Revenons à votre parcours : quel est le chemin entre l’IAE et le coaching de chefs d’entreprise ?
Là aussi, il s’agit de rencontres… C’est à l’IAE que j’ai compris que mon métier de guide passerait également par l’accompagnement de chefs d’entreprise. Pour cela, je suis revenu sur les bancs de l’université, à 30 ans, en validant un DESS.
Ensuite, j’ai aussi été chef d’entreprise à Altim, une société de travaux en hauteur. En parallèle, j’ai aussi poursuivi mon métier de guide.
Comment commencez-vous à coacher un chef d’entreprise ?
Je l’emmène faire une promenade dans la nature. Surtout s’il est fatigué et sursollicité. Il faut qu’il soit bien dans ses pompes avant de commencer à échanger. Et la marche libère la parole. J’aime bien cette idée de l’apprentissage par l’action…