« L'histoire du secret des affaires a longtemps été parcellaire, jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018, relative à la protection du secret des affaires, destinée à assurer la protection des informations ayant une valeur commerciale », précise Me Philippe Bruzzo, bâtonnier d'Aix-en-Provence, en introduction du petit-déjeuner « La protection du secret des affaires » organisé par Les Nouvelles Publications-TPBM à l'hôtel de Maliverny à Aix-en-Provence. Selon lui, ce qui a motivé le législateur à élaborer cette loi, c'est la directive du 8 juin 2016 du Parlement européen qui adopte une définition plus que précise :
« Relèvent du secret des affaires les informations qui, premièrement, sont secrètes en ce sens que, dans leur globalité ou dans la configuration et l'assemblage exacts de leurs éléments, elles ne sont pas généralement connues des personnes appartenant aux milieux qui s'occupent normalement du genre d'informations en question, ou ne leur sont pas aisément accessibles. Deuxièmement, elles ont une valeur commerciale parce qu'elles sont secrètes. Troisièmement, elles ont fait l'objet, de la part de la personne qui en a le contrôle, de façon licite, de dispositions raisonnables compte tenu des circonstances, destinées à les garder secrètes. »
La question qui se pose cependant est celle de la valeur commerciale à laquelle les sanctions seront attachées, par exemple, lorsque cela concerne un bien intemporel d'une faible valeur commerciale. Pour Me Philippe Bruzzo, « le juge européen nous dit que les sanctions ne sont pas attachées à la valeur commerciale. Le juge français s'est lui toujours retranché derrière les possibilités qu'il avait, tant du côté de la responsabilité civile que pénale. » « Je pense que c'est une question d'appréciation par le juge. »
Un intérêt lié aux avant-contrats
Pour le bâtonnier, l'intérêt de ce sujet est lié aux contrats. Et plus particulièrement aux avant-contrats dont les accords de confidentialité ont révélé la volonté des parties de maîtriser la circulation de l'information. « Il peut être important de stipuler, dans des avant-contrats, une obligation de confidentialité qui peut être façonnée par les parties et qui vise les informations que les parties souhaitent protéger, ainsi que les personnes qu'elles vont prétendre soumettre au secret. »
Cette réforme du droit des contrats a refondu les textes avec des précisions, notamment l'article 1112-2 du Code civil qui stipule que « celui qui dispose ou divulgue, sans autorisation, une information confidentielle obtenue à l'occasion des négociations engage sa responsabilité dans les conditions du droit commun. » Une notion importante dans la conduite des pourparlers puisque le texte de loi dit : « L'initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres. Ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi. » Et Philippe Bruzzo de souligner : « Un accord de secret est d'une utilité incontestable lorsque la négociation porte sur la communication d'une information sensible, comme par exemple dans le cadre d'une opération d'acquisition d'entreprise, ou encore d'un contrat international. La violation de ces exigences de la bonne foi engage la responsabilité civile extracontractuelle de son auteur et le texte fondateur remodelé permet aux juridictions d'en tirer les enseignements de l'éventuelle violation du secret des affaires. »
Du côté du tribunal de commerce
C'est avec une pointe d'humour que Charles-Alain Castola, président du tribunal de commerce d'Aix-en-Provence et entrepreneur, commence sa présentation : « Le droit n'est pas ma spécialité. Nous, les juges du tribunal de commerce, sommes surtout des juges du bon sens. » Il a abordé le sujet en mettant en avant sa préférence pour « secret d'affaires » plutôt que pour « secret des affaires ». Ce dernier terme ayant « une sorte de côté occulte des affaires renvoyant aux délits d'initiés et autres pour adeptes de la théorie du complot ou journalistes anti-entreprises. Alors que secret d'affaires est la transposition, dans notre droit français, d'une directive européenne au service d'un commerce loyal, applicable dans chacun des Etats membres et visant à préserver le savoir-faire et la construction innovante de chaînes de valeurs. »
Alors, qu'est-ce que le secret d'affaires ? Déjà, c'est la première fois que, dans le Code du commerce, apparaît cette notion de secret d'affaires. Il s'agit d'un savoir-faire secret, y compris pour des spécialistes du secteur, il faut que ce secret porte une valeur commerciale, que le détenteur du secret ait protégé ou tenté de protéger ce secret. Le non-respect de ces conditions permet au juge de déterminer en conscience si, oui ou non, il s'agit bien d'une violation du secret d'affaires.
Qu'en est-il du contentieux ?
Pour que le juge puisse intervenir, il faut qu'une des parties explique pourquoi c'est un secret. « Avant de juger, il s'agit, dans un premier temps, de préserver la qualité de secret. Ce que font déjà les juges du tribunal de commerce, par exemple dans le cas d'expertises in futurum ou dans celui d'expertises judiciaires dont une partie, définie le cas échéant par le juge chargé du contrôle des expertises, reste confidentielle », rappelle Charles-Alain Castola. Ensuite, il lui faudra traiter ce secret d'affaires alors que, a priori, les audiences de référé ou de contentieux sont des audiences publiques ! Lorsqu'il est allégué qu'une pièce peut porter atteinte au secret d'affaires, le juge peut, par exemple, prendre connaissance seul de cette pièce, ou ordonner une expertise et solliciter l'avis d'une personne habilitée. Cela afin de décider de l'application de mesures de protection ou non. Il peut décider de limiter la communication à une partie des éléments, ou à un résumé. Il peut également décider, en accord avec les parties, que les débats se déroulent en chambre du conseil. Ou encore, adapter la motivation de sa décision et les modalités de la publication de celle-ci.
Autre point abordé par le président du tribunal de commerce d'Aix-en-Provence : juger les conséquences de l'obtention illicite d'un secret d'affaires qui a permis à une des parties de faire prospérer son business. Pour cela, le juge peut imposer le montant d'un dommage ou d'une perte de chance (plus facile à appréhender que la notion de dommages et intérêts). Il peut aussi tenter de faire cesser le désordre par tout moyen. Ensuite, il peut traiter au fond les pertes occasionnées par cette obtention illicite. « Remettre les parties dans leur position avant la communication illicite du secret, ou dans une position équivalente, est, je crois, ce qui va être l'objectif du juge de commerce qui a à cœur de maintenir la concurrence loyale », insiste Charles-Alain Castola.
Pour lui, l'important pour les entrepreneurs, dont il fait partie, sera, dans la construction de la chaîne de valeur de leur entreprise, d'étalonner leurs procédures, leurs informations et leurs circuits d'information pour faire la part des choses entre ce qui est stratégique, leurs secrets d'affaires et pas seulement leurs brevets, et ce qui est déjà connu du secteur d'activité ou du marché. A eux, dans une démarche de prévention et d'anticipation, de construire les faisceaux de protection qu'ouvre le champ de cette loi. D'autant que les sanctions, en cas de procédure dilatoire ou abusive, peuvent atteindre 60 000 €.
Des procédures de protection efficaces
Ce qui a marqué Jean Monin, ancien directeur administratif et financier (DAF) de Kaporal et du groupe Sergent Major, c'est que le dirigeant doive mettre en place des procédures de protection efficaces pour faire jouer ses droits devant le tribunal. Il met aussi l'accent sur la circulation de l'information, et notamment de l'information financière, sans réelle protection :
« Les ordinateurs peuvent révéler des informations confidentielles, diffusées sans malice à un N+1 par exemple, qui peuvent intéresser des concurrents. La question se pose aussi de l'obligation, en France, de déposer ses comptes. Ce qui n'est pas le cas aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni afin de protéger les entreprises de la concurrence. En ce qui concerne le secret industriel, se pose aussi le problème des droits d'accès (badges, etc.) à l'entreprise. Dans le secteur de la mode, par exemple, les créations de marque sont isolées par des badges. Ce qui n'est pas forcément le cas des services administratifs. Lorsque vous êtes en phase de création d'un modèle, vous n'allez pas le déposer pour le protéger. »
Jean Monin pointe également les discussions avec des partenaires, des fournisseurs, etc., et l'importance de l'accord de confidentialité, pas suffisamment privilégié lors d'échanges portant sur des sujets pointus ou sensibles. Quant à l'accès aux sources d'information, il note que certains sont très ouverts et qu'un collaborateur de l'entreprise peut partir en emportant avec lui de nombreuses données telles que les prix de revient, la base clients... Autant de questions « que les entrepreneurs ne se posent pas toujours et qu'il faudrait contrôler et limiter à ce qui est raisonnable ».