Le 9 juin, le gouvernement a décidé d’assouplir le recours au télétravail. Exit sa pratique systématique à 100 % pour toutes les activités qui le permettaient. Pour autant, comment cette directive s’est-elle traduite sur le terrain ? « On a effectivement demandé à nos collaborateurs de revenir travailler en entreprise, en ayant une souplesse sur le nombre de jours en présentiel, explique Philippe Korcia, président de l’UPE 13. Ce que l’on observe généralement, c’est que les salariés sont trois jours en entreprise et deux jours, en tout cas jusqu’à la fin août, en télétravail. » Une évolution qu’il juge positive : « je pense qu’il faut revenir au bureau parce qu’il faut reprendre les habitudes, qu’il y ait de la concertation, du dialogue, la possibilité de reparler ensemble des projets structurants de l’entreprise », plaide-t-il.
Cependant, tous les salariés ne vivent pas ce retour au bureau de la même manière. « Sur le terrain, les constats sont nuancés, observe ainsi Corinne Innesti, présidente de la CPME 13. Pour les uns, il s’agit de renouer avec la convivialité, sortir de l’isolement et retrouver des conditions adaptées à leur activité, comme se retrouver entre collègues, participer aux réunions autour d’une table plutôt que face à un écran, retrouver une séparation claire entre vie personnelle et vie professionnelle », énumère-t-elle. Mais en revanche, « pour les autres, la reprise en présentiel soulève moins d’enthousiasme. En 14 mois, certains salariés ont bénéficié d’un grand confort de travail grâce à une liberté accrue d’organisation et plus d’autonomie », relève-t-elle.
Un effet pyramide des âges
Cette césure, Philippe Korcia l’a également constatée. Le président de l’UPE 13 l’analyse de deux manières. Tout d’abord, il ressent un effet pyramide des âges.
« Les moins de 30 ans s’habituent plus facilement au télétravail. Ils l’ont bien géré et veulent y rester, avec une part de présentiel. A l’inverse, les collaborateurs de plus de 40 ans veulent revenir dans l’entreprise. Ils ont leur façon de travailler, leur bureau et sont vraiment dans l’optique de retrouvailles, y compris intellectuelles », explique-t-il.
Il pointe aussi l’influence du type d’entreprise dans laquelle l’activité est exercée. « J’ai l’impression que le télétravail a moins bien marché dans les entreprises où la notion d’appartenance est très importante. Quand la PME ou l’ETI est une marque forte, les gens ont envie d’être dans l’entreprise et de la voir grandir. A contrario, quand vous êtes sur des métiers de passage, des transitions professionnelles, vous avez moins ce sentiment d’appartenance, vous pouvez les exercer n’importe où », analyse-t-il.
Corinne Innesti rappelle pour sa part que le télétravail doit partir « d’une volonté partagée entre employeur et salarié. C’est par ailleurs un point central du nouvel Accord national interprofessionnel (ANI) » qui a été paraphée quatre syndicats de salariés (CFDT, FO, CFE-CGC, CFTC) et trois organisations patronales (Medef, CPME, U2P - Union des entreprises de proximité). Elle estime également que « c’est un sujet que l’on ne peut pas généraliser à l’ensemble des entreprises », même si elle reconnaît que la crise a révélé qu’il était « possible » dans certaines « qui ne l’envisageaient même pas ». Ainsi, pour celles où l’expérience s’est bien passée, « l’option de continuer le télétravail de façon hybride est tout à fait envisageable ». Mais pour d’autres, « le télétravail ne s’impose absolument pas comme une option », tranche-t-elle. Et d’estimer que dans ces sociétés, « la poursuite du télétravail risque de créer des difficultés en termes de cohésion : une entreprise est aventure collective et doit le rester ». Elle pointe également que « le télétravail requiert des qualités que tous les salariés n’ont pas ».
« La réponse n’est pas binaire »
Philippe Korcia ne croit pas davantage au tout télétravail. « Il n’y a rien de mieux que de glaner une information au cœur de l’entreprise. C’est quelque chose que vous ne pouvez pas avoir quand vous êtes chez vous ou isolé », estime-t-il. Pour autant, même s’il « ne pourra s’appliquer qu’à quelques secteurs d’activité », le président de l’UPE 13 considère que « le télétravail est un plus, une évolution positive ». « Cette notion permet peut-être de régler des problèmes de mobilité ou de locaux. Quand 20 à 30 % de votre entreprise est en télétravail deux jours par semaine, ça représente moins de place utilisée », c’est-à-dire « des locaux d’entreprise qui ont été libérés ou aménagés différemment ». Selon lui, « il faut donner cette possibilité » de télétravailler quand c’est possible. « On demande à nos adhérents de trouver en interne la meilleure solution qui convienne aux salariés et à l’entreprise. Sur notre territoire, 85 % des entreprises ont moins de 20 salariés, donc il faut vraiment privilégier le dialogue interne dans la meilleure intelligence possible », conclut-il.
Aux yeux de Corinne Innesti, « la réponse n’est pas binaire » et elle estime elle aussi que « le dialogue social doit être priorisé ». « De manière pragmatique à une première échelle, l’organisation vient directement d’un échange entre les dirigeants et les salariés », abonde-t-elle, tout en rappelant l’existence de l’ANI qui « réaffirme notamment la notion du double volontariat de l’employeur et du salarié ». Et de conclure : « Certaines sociétés pourront trouver un rythme satisfaisant avec un ou deux jours de télétravail et un équilibre judicieux entre présentiel et distanciel. Pour d’autres, la reprise à 100 % sera sans doute inévitable. »