Dans le contexte très particulier de la crise Covid-19, un contentieux important est né autour des loyers de baux commerciaux, faisant suite à la décision de nombreux locataires d’en suspendre le paiement en raison des mesures gouvernementales de confinement et de l’interdiction d’accueillir le public dans les locaux commerciaux considérés comme non essentiels.
Les bailleurs ne l’entendant pas ainsi, la Cour de cassation fut saisie d’une trentaine de pourvois et la troisième chambre civile a rendu trois arrêts de principe importants en la matière le 30 juin 2022 (Réf. 21-19.889, 21-20.127 et 21-20.190).
L’enjeu était de taille (les mesures de fermeture ayant concerné 45 % des établissements de commerce de détail pour un montant total de loyers et de charges locatives de plus de 3 milliards d’euros) et la position de la Haute Juridiction très attendue en raison d’un contentieux abondant et de positions très différentes de la part des juridictions du fond.
Ainsi, à la question de savoir si les locataires dont les fonds de commerces de détail n’avaient pas été exploités entre le 17 mars et le 10 mai 2020 en application des mesures gouvernementales de fermeture des commerces considérés comme non essentiels, avaient l’obligation ou non de payer les loyers concernés, la Cour de cassation a répondu sans équivoque et en indiquant dans son communiqué que « la mesure générale et temporaire d’interdiction de recevoir du public n’entraîne pas la perte de la chose louée et n’est pas constitutive d’une inexécution, par le bailleur, de son obligation de délivrance et le locataire n’est pas fondé à s’en prévaloir au titre de la force majeure pour échapper au paiement de ses loyers ». L’obligation de paiement des loyers n’était donc ni suspendue, ni neutralisée pendant la période de confinement.
Deloitte Société d’Avocats se renforce à Marseille
Une mesure non imputable aux bailleurs
Dans son argumentation, la Cour a rappelé que cette interdiction avait été décidée aux seules fins de garantir la santé publique, pour limiter la propagation du virus et que ces mesures n’avaient pas écarté l’application du droit commun de la relation contractuelle entre locataires et bailleurs.
La Cour a donc considéré que l’effet de cette mesure générale et temporaire, sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne pouvait être, d’une part, imputable aux bailleurs, de sorte qu’il ne saurait leur être reproché un manquement à leur obligation de délivrance au sens de l’article 1719 du Code civil, ni, d’autre part, assimilée à la perte de la chose au sens de l’article 1722 du Code civil. En outre, s’agissant de l’argument parfois soulevé sur la force majeure et l’article 1218 du Code civil, la Cour de cassation a rappelé que le locataire n’était pas fondé à invoquer cet argument à son profit en matière contractuelle, dès lors que celui-ci est tenu à une obligation de paiement d’une somme d’argent.
Il convient de tirer les enseignements de cette clarification dans l’hypothèse où, le cas échéant, de telles mesures gouvernementales devraient être prises à nouveau à l’avenir, tout en gardant à l’esprit, d’une part, l’obligation de bonne foi qui doit toujours peser entre les parties dans la négociation, la formation et l’exécution du contrat et en vertu de laquelle celles-ci doivent s’efforcer de s’adapter aux circonstances exceptionnelles et, d’autre part, la clause d’imprévision à rédiger avec précision et permettant aux parties de convenir du principe et des modalités de révision du contrat en cas de survenance d’une situation imprévisible lors de la conclusion du bail.