« La liquidation judiciaire, la dernière phase du redressement judiciaire, est la moins connue », souligne l’avocat Frédéric Sanchez, référent judiciaire et juridique de 60 000 Rebonds. Alors pour « briser la solitude du dirigeant d’entreprise au moment où il se sent le plus seul de toute sa vie », l’association a décidé de consacrer son troisième webinaire juridique, le 22 juin dernier, à cette plongée dans l’inconnue. Afin que chaque entrepreneur puisse comprendre les différentes phases de la liquidation judiciaire, 60 000 Rebonds, dont l’une des missions est de « faire cesser la stigmatisation de la cessation d’activité » comme l’a rappelé sa déléguée régionale Anne Castrien, avait convié des personnes que l’on n’a pas l’habitude de côtoyer, à savoir deux mandataires judicaires : Vincent de Carrière, qui intervient depuis une quinzaine d’années essentiellement sur les Bouches-du-Rhône mais aussi sur Gap et Briançon, et Laura Bes, qui officie sur Aix et Toulon.
D’emblée, cette dernière a souligné que « la liquidation judiciaire est là pour aider, pour finir proprement la vie de l’entreprise ». Dans ce cadre, « on va mettre un écran entre le dirigeant et les créanciers ». Vincent de Carrière a pointé le fait que le mandataire judiciaire est un partenaire qu’« on ne choisit pas ». « Le tribunal impose ce partenaire. Mais il est important de prendre contact avec lui », insiste-t-il. Car si le chef d’entreprise « perd sa casquette de dirigeant », on n’en est pas moins « dans une procédure participative où on doit échanger et respecter les droits propres de l’entrepreneur », c’est-à-dire « tout ce qui ne touche pas au patrimoine », notamment les droits politiques du dirigeant. Dans ce cadre, ce dernier aura accès durant toute la procédure à l’information et au matériel informatique de sa société.
Quinze premiers jours cruciaux
Cette liquidation judiciaire se décompose en cinq phases. La première, les 72 premières heures, est cruciale. « Le dossier est préparé en amont », souligne Laura Bes. Ce que confirme Frédéric Sanchez : « En tant qu’avocat, on intervient en amont, on sait qu’on va y aller ». Et 72 heures après l’ouverture de la procédure, « normalement, vous avez rendez-vous avec votre mandataire qui va vous expliquer la procédure », poursuit la mandataire judiciaire. Vincent de Carrière met en garde sur les erreurs à ne pas commettre.
« Il ne faut pas générer d’activité qui dépasserait une semaine : on n’engage pas l’entreprise si on sait qu’elle va s’arrêter. Il ne faut pas créer de préjudice à l’égard de tiers », prévient-il.
La communication est également primordiale : avec ses salariés, avec son banquier « si j’ai eu de bonnes relations avec lui » et avec le mandataire judiciaire. « Il est important d’avoir un premier contact avec lui pour éviter d’aggraver sa situation personnelle », résume-t-il.
La deuxième étape importante de la procédure intervient ensuite au bout de 15 jours, date à laquelle le volet social doit être bouclé. « L’élaboration du dossier social doit se faire le plus en amont possible. On va recenser les salariés en maladie, en maternité, les salariés protégés qui possèdent un mandat social. L’AGS* prend en charge toutes les créances salariales. En revanche, les créances prud’homales sont inscrites au passif et ne sont pas réglées par l’AGS », précise Laura Bes.
Deux mois après le début de la procédure, interviendra la vente de l’actif de l’entreprise. Si depuis le mandat présidentiel de François Hollande, la résidence principale est insaisissable, le dirigeant peut protéger d’autres biens à condition d’avoir, au préalable, fait publier des déclarations d’insaisissabilité. Une phase au cours de laquelle un inventaire sera effectué afin de recenser les biens liés à l’activité physique de l’entreprise. « Plus les biens sont spécifiques, plus la collaboration avec le chef d’entreprise est capitale afin de valoriser les actifs et, pourquoi pas, financer un subside une fois l’inventaire fait », souligne Vincent de Carrière. Ainsi, il est possible de laisser un véhicule ou une tablette à disposition du dirigeant afin de l’aider dans sa future recherche d’emploi. « Si on joue franc jeu, il existe des moyens de repartir dignement », tranche le mandataire judiciaire.
Ne pas avoir peur des sanctions
Parallèlement, six mois de procédure sont consacrés à la vérification du passif de l’entreprise. Les créanciers ont deux mois pour se déclarer, quatre mois s’ils sont basés à l’étranger. « On convoque le dirigeant à la déclaration du passif. Il a 30 jours pour étayer ses contestations de créances », précise Laura Bes. Le mandataire judiciaire les enverra ensuite aux créanciers concernés. Ces derniers disposent à leur tour de 30 jours pour indiquer s’ils acceptent ou pas de revoir leurs créances à la baisse. Si tel n’est pas le cas, c’est un jugement qui tranchera la question. « A la fin de la procédure, on a une vision claire de ce que l’entreprise doit », observe Laura Bes.
Enfin, la clôture constitue l’ultime phase de la procédure. Elle intervient en moyenne au bout de 12 mois, 18 mois s’il s’agit d’une grande entreprise. « Souvent, les juridictions indiquent dans les jugements d’ouverture la date de clôture. Le chef d’entreprise connaît le tempo », relève la mandataire judiciaire. Cette clôture, « le chef d’entreprise la vit comme un soulagement », assure-t-elle. Le mandataire a alors la possibilité de demander des sanctions.
« Il ne faut pas en avoir peur. Il y en a peu car ce n’est pas l’objectif premier de la liquidation judiciaire », insiste Laura Bes.
Vincent de Carrière précise pour sa part que « c’est au mandataire de démontrer une faute ». Et de pointer l’absence de collaboration avec le mandataire, l’absence de comptabilité ou la non-remise de certains documents comme les principaux écueils à éviter. « Il faut se tenir informé, essayer d’aller chercher l’information, sinon la procédure est anxiogène. Dix minutes de visio, ça peut débloquer un dossier », conclut le mandataire judiciaire.
* Association pour la gestion du régime de garantie des créances de salariés.